À travers les différents déguisements qu’il emprunte, et les moyens dont il se sert, l’art est toujours irréaliste. À force de multiples possibilités de transformations, de libérations en libérations, son essoufflement actuel accéder l’effondrement du processus d’évolution dont il était porteur. Dans une tentative de survie en recourant à d’autres médiums il ne fait que prolonger son caractère fondamentalement idéaliste, romantique, illusionniste. Au subterfuge qu’imposent l’art et les artisans peut-on opposer un travail, ici “pictural”, qui ne visera plus à libérer l’art, mais bien au contraire à se libérer de l’art qu’il détient et dont il est fait ? Ce qui en découlera ne sera donc que le produit pur et simple de son propre processus de création, et “la chose à voir” sera en soi-même sa propre réalité. La peinture est ici dans sa production même système et méthode : son propre processus se révèle par l’effet du développement réel de la peinture elle-même. En d’autres termes, “peinture (surface peinte) n’a d’autre signification que son existence , et les moyens mis en œuvre pour la peinture ne doivent en aucun cas offrir des références culturelles, ou sentimentales, ou encore révéler des modèles opératoires transposables, mais être en total dégagement”. C’est ainsi que la production sur laquelle se fonde l’œuvre qui est à réaliser suivant un descriptif impératif, amène à produire/peindre des formes non allusives ayant toujours le même schème et se présentant conjointement jusqu’a couvrir toute la surface donnée, obtenue progressivement par l’application d’une méthode dépersonnalisée qui consiste à réitérer sur chacun des côtés de chaque hexagone d’une trace continue (entre deux points de repère situés chacun près d’un sommet), un même acte appelé “intervention” qui s’effectue toujours selon un même processus et suivent des principes déterminés et dont nous ne ferons pas ici la décomposition, pour aboutir à ces “traces-formes” alternativement bleues, rouges et blanches. Procédant de la sorte, la proposition dans son prolongement, dans la répétition même, est toujours fidèle à son propre concept; celui-ci renferme en lui même l’origine de son propre devenir. On en arrive à une peinture qui annule toute intrusion du subjectif , qui a en soi sa propre fin , qui se signifie et se définit elle-même, et par conséquent, est à l’antipode de l’oeuvre d’art, comme miroir — réceptacle de quelque chose ; n’offrant plus de prise à une conception émotionnelle de l’art, elle demeure la “chose” qui est peinte uniquement pour démontrer son existence de peinture, et par là même se situer simultanément à l’intérieur et en dehors du système de valeur que constituent les arts plastiques : se dédoublement peut permettre de questionner l’art sur ça justification comme sur ces fondements.
François Ristori, juillet 73 (récapitulatif sur et autour d’un texte : peinture possible, publiée en mars 1971.